Interview revue Cosmopolitan (Novembre 2022)

Mathilde Effosse, journaliste/Marie-Laure Aubignat, psychologue

 

ME : En quoi savoir ce qu’on vaut impacte estime de soi et confiance en soi ?

 Connaitre notre valeur, ne fait généralement pas partie de ce que l’on nous a enseigné, enfant. Loin du modèle français des « bonnes et mauvaises réponses », l’enseignement américain place le bien-être de l’enfant au centre de la pédagogie, la confiance en lui à tout prix. L’enfance aux Etats-Unis est un état quasi-célébré en soi, presque sanctifié.

Pour la plupart d’entre nous, c’est généralement à soi seule, de travailler notre valeur afin de savoir qui l’on veut devenir : « On ne naît pas femme, on le devient » nous rappelle S. de Beauvoir, afin d’accéder à une estime de soi suffisamment bonne, si notre environnement premier n’a pu être sensible et attentif au ressenti de l’enfant que nous étions.

 

ME : Faut-il prendre des risques pour booster l’estime de soi ?

 A tous les âges, l’environnement peut venir vous planter des bâtons dans les roues « Tu n’es pas capable, tu n’y arriveras jamais ! », (Dixit parfois des parents à leurs propres enfants ou encore des enseignants à leurs élèves !) Impossible d’accepter cela !

Bien que ce début de trajectoire soit initialement semé d’embûches, se rebeller et prendre des risques reste une action de santé mentale pour soi. Il s’agira de détecter et nous entourer des bonnes personnes (choix du conjoint) ou professionnelle (choix du métier).

Obéir à l’injonction « tu ne feras pas d’études » ou « restes à ce poste » est peu valorisant et dégradant. On s’étonne cependant que nombreuses d’entre nous ne sauraient oser l’aventure de progresser et préfèrent se cramponner à leur poste médiocre, de crainte d’échouer à évoluer ailleurs ou parviendront à éviter de progresser (échec devant le succès) par différents actes manqués (retard au rendez-vous d’embauche…) D’autres parviennent à faire le choix inconscient d’échouer à tel examen : Il s’agit, avant tout, de prendre conscience de notre propre fonctionnement qui nous échappe généralement, comprendre ce que l’on répète, à notre insu.

Prenons pour exemple une femme qui ne se sent pas capable et qui reste dans un travail peu valorisant : au moins, elle ne se sentira jamais « pas à la hauteur ».

Prendre des risques semble être un point de départ majeur et doit être intégré à notre lexique mental : rester dans sa zone de confort peut devenir à la longue peu stimulant. Notre désir risque de s’étioler, notre libido s’effondrer en berne et notre image de soi passer inaperçue !

En effet, accepter de se soumettre, finalement, au désir d’un « supposé » meilleur que soi, en occupant corps et âme une place épuisante afin d’être gardée et de se sentir à la hauteur nous a rarement menées vers une reconnaissance suffisante… mais plutôt à un Burn-out ou une dépression ! Alors non !

 

Rappelons la fonction du travail qui est celle d’occuper une fonction rémunératrice et choisie. On ne travaille pas pour s’adapter uniquement au désir d’un autre ni pour réparer nos failles. Nous fixer un objectif à atteindre est souhaitable. Mais comment combattre cette voix qui nous pousse à stagner, à ne pas pouvoir imaginer franchir les obstacles et accéder à nos désirs ?

 

Il en est de même dans la vie amoureuse. Nombreux couples visent comme sentiment essentiel la sécurité. Certaines restent avec leur conjoint qu’elles n’aiment plus parce qu’elles craignent de ne plus se sentir assez désirables ou intéressantes pour se tourner vers un avenir meilleur. Ne pas oser l’aventure amoureuse, alors que rien ne va plus, risque de vous étioler.

Dévalorisée au plus haut point, il faut parfois attendre cette descente aux enfers et toucher le fond pour se décider à essayer de vivre autre chose. Quitter ce qui ne convient plus, oser la rencontre permet de découvrir de nouvelles facettes de soi, nos qualités que l’on ignorait jusque-là et dont personne ne vous avait encore parlé, ce que l’on vaut, et le plus souvent finalement de ne pas regretter d’avoir essayé !

 

Il en est de même en amitié : Une qui garde une amie qui la déprécie…

 

Certaines amitiés de même parviennent à nous déprécier mais alors pourquoi continuer ? J’ai pu entendre au cours de consultation d’une ado récemment : « Je suis tout le temps avec elle, faisant partie de sa bande, elle a tant de succès, elle sait se mettre en valeur, tout le monde l’écoute et l’entoure. On est tout le temps ensemble, on se dit tout. Récemment et ce n’est pas la première fois, elle fait une fête, elle invite tout le monde sauf moi ».

Se tourner vers autrui ne fera que renforcer son estime d’elle-même en se distançant de l’effet « miroir aux alouettes » renvoyé par l’amie en question de qui elle est dépendante et qui la perturbe.

Comment se sortir de l’égo malmené de son enfance ? À quelle image-(inaire) se référer pour puiser un peu d’assurance, une image de soi valorisante pour affronter les autres, vivre avec ce manque d’estime de soi fondamental ?

Pas de panique ! on a su gérer jusqu’à présent. On est en poste et l’on y arrive. On a dû se débrouiller avec un environnement peu facilitant auquel on a été contraintes de nous soumettre, (enfant parentifié ou enfant thérapeute c’est à dire adulte précocement). On s’est adapté, (nous privant de l’accès au jeu et à la pensée libre et créatrice). On constate aujourd’hui que l’on a su « réagir » adéquatement, cela nous a donné une force : on sait s’adapter à la réalité, réagir au monde. Oui, malgré tout, on sait s’adapter. C’est une réussite. En se soumettant aux exigences de l'environnement, « Le faux self » que l’on a présenté petit comme enfant « parentifié » a finalement une fonction positive qui nous a protégé : dissimuler notre vrai « self » qu’il s’agit de développer aujourd’hui.

 

ME : En quoi se convaincre et convaincre les autres qu’on est capable de faire quelque chose peut booster notre estime de soi ? (En changeant la perception que les autres ont de nous, en nous faisant nous sentir géniales…)

Un environnement suffisamment bon « good enought mother » permet d’introduire dans le psychisme d’un bébé un « air transitionnel » lui permettant l’accès à la pensée et au plaisir de jouer. Privé de cet espace intime, l’enfant, empiété dans sa structure psychique, ne peut que « réagir » à son environnement défaillant, afin de s’y adapter. Ainsi il se protège en protégeant son parent.

 

Il est temps aujourd’hui de convaincre notre environnement que l’on est capable d’accomplir notre désir, de laisser émerger notre vrai self, quitter la représentation qu’il s’imagine de nous-même et de cesser de nourrir ses propres attentes pour ce qui concerne notre énergie, notre vie. Notre trajectoire nous appartient.

C’est dans l’action, la confrontation aux situations, à nos décisions, mais surtout à la façon de nous exprimer que l’on parvient à mesurer ce que l’on vaut.

 

ME : Pour celles qui sont victimes du syndrome de l’imposteur (en changeant de métier sans avoir fait d’études pour, par exemple) : comment l’évincer ?

Nombreux individus au passé fracassé par un égo malmené on put entendre : « Mais qu’est-ce que je vais faire de toi ? tu ne vaux rien ». (Ils ont pu être un enfant non désiré, ou mal placé dans sa fratrie, ou encore dont le genre n’était pas désiré. Comment remédier à ce sabotage intime ayant laissé des traces dans notre psychisme qui ont pu nous conduire au syndrome de l’imposteur ? Ce sentiment de scepticisme permanent à l’égard de notre propre valeur, cette constante dévalorisation de ce que l’on veut, de ce que l’on vaut, de doute permanent de notre légitimité, de nos succès même ! Cette peur constante les pousse à élaborer des stratégies de défense comme le fait d'éviter les situations anxiogènes, ou de s’épuiser dans un excès de zèle, ce qui peut créer un stress permanent et délétère sur le long terme, pouvant aller jusqu'au burn-out ou à la dépression.

Il est temps de faire le point sur qui l’on est et ce que l’on vaut.

 

ME : Comment faire le point sur notre “valeur” ? (En listant nos réussites, nos forces, notre travail, en vérifiant combien gagnent nos collègues ?) J’imagine que si je connais mes points forts - et mes points faibles - si quelqu’un me dit que j’ai fait un mauvais job dans un secteur qui n’est pas mon point fort, ça m’affectera moins ?)

 Prendre conscience de notre valeur implique avant tout de travailler le propre regard que l’on porte à soi : s’il dégage compassion, douceur et estime, l’extérieur le ressent, le perçoit, s’identifie à votre bienveillance et finalement vous le renvoie en miroir. Autrement dit, la valeur que l’on s’accorde se reflète et se communique. Rappelons quelques concepts psychanalytiques pour illustrer cela.

 

Le Stade du miroir est un stade important dans le développement, instant fondateur où le petit enfant aperçoit son image dans le miroir. Il prend alors conscience de son propre corps, sa singularité. Ce moment jubilatoire ne se met en place qu’en présence de l’Autre (parent, généralement). Dans le regard et dans le dire de cet « Autre », l’enfant, dans le miroir, reconnait tout d’abord l’Autre lui disant : « regarde-toi » ; Ainsi, l’enfant comprend et intègre ce moment fondateur : « C’est moi, j’existe ».

Si le narcissisme est défini comme étant l’amour porté à l’image de soi-même, le « Je » et tout ce qu’il recouvre implique « l’autre ». Le « moi » se définissant par une identification à l’image d’autrui : on apprend en imitant. Mais force est de constater que savoir ce que l’on vaut et s’autoriser à occuper notre place n’est pas donné a toutes ! Comment s’y prendre ?

 

La première étape est donc la prise de conscience de notre façon de « nous » penser et cela peut demander un peu de temps… et de travail. On s’est inconsciemment, jusque-là, probablement positionné en juge ou on a pu intérioriser un comportement de victime envers soi-même, nous auto-sabotant, nous dénigrant, amoindrissant notre capacité de penser agréablement, perturbant notre action et notre énergie, notre propre image.

Il n’y a plus aucune raison de nous faire souffrir. On décide de renoncer à ce système de croyances erronées, ces pensées parasites avec lesquelles on continuait de collaborer.

En les nommant pour les évincer, dans un cadre thérapeutique, on parvient progressivement à prendre conscience de la vaste étendue de notre désir, conquérir notre valeur et nous diriger vers l’indépendance de notre esprit. Ainsi l’on peut petit à petit se tourner vers un changement, une affirmation de soi, et nous libérer des pensées parasites et des paroles maléfiques passées auxquelles on continuait de croire, jusque-là.

 

ME : Si on réalise qu’on n’est pas appréciée à notre juste valeur, comment en parler aux intéressés ?

C’est dans l’ouverture aux autres, la communication, une paisible confrontation avec l’adversité nouvelle que l’on peut s’étonner de dégager une énergie nouvelle, convaincante, efficace et moins coûteuse que les pensées parasites de notre passé.

 

ME : Y a-t-il des mots, des formules à éviter ?

Certaines formules sont à éviter, celles qui rejoignent nos propres opinions négatives quant à soi intégrées du passé. Il convient de ne pas prendre nos interlocuteurs professionnels actuels pour nos thérapeutes car ils ne sont pas censés connaitre votre histoire !

Vivre au présent implique un nouvel environnement sain choisi auquel nous nous sommes adaptées de façon moins couteuse. Notre développement nous a finalement donné cette force. L’environnement actuel que l’on a choisi n’a rien à voir avec ce que l’on a vécu.

Parfois, il est nécessaire d’entamer une thérapie car l’on n’est pas assez distancé affectivement de son passé.

 

ME : Avez-vous des conseils à donner aux femmes qui ont du mal à “s’apprécier” ?

Pour celles qui ont du mal à s’apprécier à leur juste valeur, il est important d’identifier/nommer l’origine de la souffrance afin d’en modifier/éradiquer les conséquences actuelles.

« Connais-toi toi-même » (Socrate) reste une citation de taille, un passage obligé qui pourra nous conduire à d’avantage de souplesse pour demander ce dont on a besoin, pouvoir dire « oui » ou « non » sans peur, sans culpabilité ni jugement quant à notre propre valeur.

Le rapport tendre que l’on entretient avec soi-même et la valeur que l’on s’octroie avec un regard bienveillant modifiera agréablement notre rapport au monde qui vous le renverra en miroir.